2 research outputs found
Récits de voyages marchands dans la seconde moitié du XVIIe siècle : portrait du négociant en héros
Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, pendant le règne de Louis XIV, encouragés par le pouvoir, les voyages connaissent un essor spectaculaire, et avec eux les récits qui en sont faits. Parmi eux, le récit de voyage commercial occupe une place importante. Des voyageurs comme Tavernier (Les six voyages de Jean-Baptiste Tavernier…, 1676) et Chardin (Voyages de Monsieur le Chevalier Chardin en Perse et autres lieux de l’Orient, 1686), tous deux experts en joaillerie, incarnent la figure du négociant cultivé et audacieux, représentatif de cette période.Travaillant pour leur propre compte et fortune, ces voyageurs sont en phase avec l’ambition nationale de conquête. Leur parcours individuel s’inscrit donc dans un contexte d’épopée collective. L’aventure commerciale est marquée par un ennoblissement idéologique et le négociant, soudainement valorisé, y gagne un statut de protagoniste. Avec lui, le monde concret, généralement fort peu présent dans la littérature du XVIIe siècle, fait irruption dans la littérature de voyage : l’argent y est un thème omniprésent associé à celui de l’ascension sociale. Mais le voyage marchand est aussi le contexte d’une valorisation de la notion de « métier », de savoir-faire, et bien sûr de travail et d’effort.Au-delà, on assiste à la promotion littéraire de certaines valeurs « bourgeoises », qui avaient eu jusque-là un statut plutôt marginal. Le récit devient souvent la preuve tangible d’une réussite sociale et matérielle, et la somme de connaissances est à l’image des profits que le voyage a permis d’effectuer : l’exigence de « rendement » intellectuel répond ici à l’impératif de profit commercial.In the second half of XVIIth century, during the reign of Louis XIV, there was a spectacular increase in the number of voyages, and of narratives made about them. Among these, the narrative of commercial voyage occupies an important place. Travellers like Tavernier (Six voyages of Jean-Baptiste Tavernier…, 1676), and Chardin (Journal du chevalier Chardin en Perse et aux Indes orientales, 1686), both expert jewellers, typify the cultivated and daring trader representative of this period. Working for their own fortune, these travellers are also in phase with the national ambition of conquest. The commercial venture is heightened by an ideological ennoblement, and the trader of higher stature, suddenly becomes a protagonist. With him, the real world, generally absent from XVIIth century literature, comes to the fore : money as a tool to social climbing is everywhere. But the commercial voyage also serves to valorise the concepts of trade, work and effort. Beyond that, one witnesses the literary promotion of certain «middle-class» values, which had been until then rather marginal. The narrative often becomes tangible proof of a social and material success and a sum of knowledge, with intellectual and material profit becoming equals
Images pittoresques, texte « romanesque » : La représentation de l’indigène dans le Voyage du chevalier d’Arvieux (Paris, André Cailleau, 1717)
En 1717 paraît la relation du voyage fait par le chevalier d’Arvieux en Palestine, à la cour des Bédouins (voyage effectué de 1664 à 1665). Au fil de ce récit, on relève trois illustrations représentant les indigènes côtoyés et décrits par le narrateur. Leur fonction première, traditionnelle dans le genre du récit de voyage, semble documentaire. L’image a aussi dans ce récit une valeur discrètement pittoresque et tend à figer les personnages représentés en « types ». Au-delà, l’image semble parfois avoir une troisième fonction, plus originale. Elle participe à la « dérive romanesque » du récit, fréquente dans les récits de voyage, et c’est par la mise en relation avec le texte qu’elle acquiert cette fonction. Ainsi, rien n’indique dans la légende de la première illustration (« Cavalier arabe ») qu’elle pourrait représenter le chevalier d’Arvieux lui-même ; pourtant, elle est insérée au milieu de la description du déguisement « à l’arabesque » que le voyageur-narrateur adopte au début de son voyage, pour déjouer les périls de la route. L’image dans ce récit a donc un statut ambigu : censée représenter l’autre, elle tend en même temps à représenter le voyageur (narrateur) lui-même, sous les oripeaux de l’indigène ; supposée apporter des précisions documentaires et objectives, elle introduit le thème du déguisement, du masque et de la supercherie et, au-delà, révèle le processus de métamorphose identitaire à l’oeuvre dans le voyage.The year 1717 saw the publication of the travelogue kept by the chevalier d’Arvieux in Palestine and at the Bedouins’ court from 1664 to 1665. Throughout this narrative, three illustrations of the local inhabitants emerge that are primarily of documentary value (as is usually the case in such writings). Yet these depictions also tend to typecast the people in a somewhat picturesque fashion. As well, these images serve a third, more original purpose, their close relationship with the words causing the diary to evolve into a novel, a drift not uncommon to travelogues. For instance, nothing in the caption of the first image (“Arab rider”) rules out the possibility that the man is the chevalier d’Arvieux himself. Yet it intersperses the description of the “arabesque” disguise adopted by the author at the beginning of his journey to thwart upcoming dangers. This image is therefore ambiguous, supposedly depicting “another” while illustrating the author in local garb, providing objective documentary clarifications while suggesting hidden meanings of deceit and disguise, and possibly bringing to the fore the apparent morphing of the author’s identity with the characters he describes
